Un article intéressant du Canadian Geographical Magazine de juin 1957
PHOTO 1 : Douze miles au nord de Sept-Îles, un convoi de minerai traverse l’un des dix-sept ponts le long du chemin de fer de 360 miles de la Quebec North Shore et Labrador Railway jusqu’au lac Knob. Plusieurs trains font le voyage tous les jours durant l’été, chacun d’eux ayant plus de 100 wagons.
Lac Knob la nouvelle frontière canadienne, par W. Gillies Ross
Le Lac Knob se trouve près de la frontière Québec-Labrador au cœur de l’immense péninsule Labrador-Ungava. Durant des siècles, elle fut considérée comme une désolation négligée aux terres stériles et battues par le vent, aujourd’hui il s’agit de l’un des plus précieux atouts du Canada; ses riches gisements de minerai de fer sont maintenant à la merci de l’industrie moderne.
Alors que vingt ans plus tôt l’activité humaine se résumait à un petit nombre de Montagnais tendant leur ligne de trappe, il y a maintenant, sur les rives du Lac Knob une communauté de plus de 2000 habitants, desservie par air et rails. Son nom est Schefferville, nommée d’après Monseigneur Lionel Scheffer, O.M.I., évêque du Labrador, dont les missions spirituelles de son vicariat de 350 000 milles carrés sont devenues des légendes.
Schefferville a été construit par la Compagnie Iron Ore du Canada. Ce groupe formé de compagnies minières américaines et canadiennes décida en 1950 que les gisements de fer de la région du Lac Knob ne pouvaient plus être ignorés. La demande d’acier à l’époque de la guerre de Corée ainsi que l’épuisement prévisible du gisement de fer du Mesabi Range, aux États-Unis, sont les deux facteurs dans la décision d’ouvrir le centre du Labrador-Ungava. Brièvement, le projet de la compagnie consistait en la construction d’installations portuaires, d’une ville ayant un approvisionnement adéquat en électricité, d’un chemin de fer entre Sept-Îles et les gisements du Lac Knob, d’un village au Lac Knob, approvisionné en électricité par un barrage à Menihek, 30 milles au sud, et le développement des mines elles-mêmes.
Le commencement de ce projet en 1950 fut un évènement historique. L’intérieur des terres du Labrador-Ungava, une immensité de près d’un demi-million de milles carrés, fut pendant longtemps l’un des endroits les moins connus au monde. Même aujourd’hui, en dépit de l’exploration et du développement de certaines régions par des intérêts miniers, la construction de sites d’alerte précoce sur deux lignes de défense traversant la péninsule, et les projets de recherche effectués par des étudiants en sciences naturelles, le territoire est toujours presque intact.
Continuellement ignoré par les explorateurs, les marchands et les colons, ce territoire fut une contrée sauvage et peu attirante au nord du pratique cours d’eau du Saint-Laurent durant les quatre derniers siècles. La Salle atteignit le Golfe du Mexique en 1682, Mackenzie rejoignit le Pacifique en 1793, mais ce n’est qu’en 1826 qu’Hendry voyagea par voie de terre de la baie d’Hudson à la baie d’Ungava pour marquer le commencement de l’exploration au Labrador-Ungava. Au cours des années qui suivirent, des expéditions par Erlandson, McLean, Babel, Low et d’autres ramenèrent les premiers rapports de l’intérieur au monde civilisé. Les merveilleuses aventures en canot de Low furent entreprises il y a moins de soixante-dix ans; la première concession minière du territoire ne fut accordée qu’il y a vingt ans, et le premier minerai ne fut expédié du Lac Knob qu’en 1954.
PHOTO 2 : Ces chutes d’eau, coulant le long d’un rocher escarpé, sont l’un des attraits pittoresques du chemin de fer entre Sept-Îles et le lac Knob.
Par conséquent, la connaissance du territoire et de ses habitants avant l’entrée en scène de l’homme blanc est incomplète. Il est arrivé dans le passé que des Algonquins se déplacent vers l’est dans la péninsule par vague successive, et, avec la pression des tribus Iroquoises et Micmaques au cours du seizième et dix-septième siècle respectivement, ils devinrent de plus en plus isolés des autres tribus Algonquines. Ils sont reconnus comme des Montagnais le long de la rive nord du fleuve Saint-Laurent et dans les forêts du sud, et en tant que Naskapis dans la région nord de la toundra forestière. L’établissement de postes de traite, d’abord le long des côtes, et à l’intérieur des terres durant le dix-neuvième siècle, convertit de nombreux Amérindiens de la chasse de subsistance au trappage. Lorsque le mystérieux déclin de la population de caribou fut observé par Low, il y a près de soixante-dix ans, les Amérindiens se sont tournés vers des relations économiques avec l’homme blanc en désespoir de cause. Malheureusement, les fluctuations notoires des prix de la fourrure et le déclin des espèces animales ont fait du trappage une vie précaire et généralement ingrate. Il est donc significatif que le récent développement du site du Lac Knob ait offert de nouvelles opportunités aux Amérindiens et attiré un grand nombre de Montagnais et de Naskapis.
Dans la révolution industrielle du Labrador-Ungava, l’événement qui brisa la glace fut la construction du Quebec North Shore et Labrador Railway partant du port de Sept-Îles en direction nord jusqu’aux gisements de fer du site du Lac Knob – 360 milles sur un terrain extrêmement difficile. Le premier équipement fut déchargé à Sept-Îles à l’automne 1950; une base fut établie, des quais furent construits, et des équipes entreprirent la construction du ballast à travers les vallées aux pentes abruptes des rivières entaillant le bord du plateau laurentien. Lentement la tâche progressait alors que la route serpentait par les rivières Moisie, Nipissis et Wacouno, franchissant dix-sept ponts et traversant deux tunnels. De fréquents glissements de terrain et une moyenne de chute de neige de plus de 150 pouces furent deux des nombreuses difficultés qui ennuyèrent les équipes de construction. Au Mille 150 à une altitude de 2 055 pieds au-dessus du niveau de la mer l’ascension fut terminée. La construction fut bien moins spectaculaire au-delà de ce pays de lacs et de plateaux, bien que le mauvais drainage notoire de ce relief glacé du Bouclier canadien était un sérieux problème. Les forts vents d’hiver et les basses températures rendirent les conditions de vie et de travail difficiles. En février 1954, quatre ans après que le projet fut commencé à Sept-Îles, le dernier crampon fut planté à Schefferville.
PHOTO 3 : La ville de Schefferville est nichée sur le col séparant le lac Knob et les lacs Pearces. Un plan de la ville.
Une caractéristique particulière de la construction du chemin de fer était son approvisionnement par la voie des airs. Les quinze avions de la Hollinger-Ungava Transport, une filiale de la Compagnie Iron Ore du Canada, ravitaillant les quatorze pistes d’atterrissage de la ligne de chemin de fer, transportaient la main-d’œuvre, la nourriture, l’essence, le matériel et les équipements. Des camions, des chenillettes et deux hélicoptères transportaient la cargaison des pistes aux chantiers. Au plus fort des travaux près de 7000 hommes étaient employés, impliquant des problèmes compliqués de cafétéria et d’hébergement. Le chemin de fer fut décrit comme « l’un des plus longs tronçons de chemin de fer construit sur ce continent de ce siècle, le seul de l’histoire construit par la voie des airs ». En raison des conditions difficiles imposées par le climat et la géographie, ce fut une entreprise d’envergure et un grand accomplissement pour les ingénieurs canadiens.
PHOTO 4 : Les effets de l’exploitation minière à grande échelle sont présentés par cette vue des mines de Gagnon, près du lac Knob. Une montagne de minerai de fer a été retirée pour nourrir les hauts fours de l’industrie moderne.
PHOTO 5 : Aux mines de Gagnon, le minerai est ramassé à l’aide de pelle mécanique, chargé dans des camions de trente-cinq tonnes, et conduit à des trémies, où il est broyé et calibré, puis chargé dans les wagons.
Alors que le chemin de fer avançait au nord, il y a avait beaucoup d’activité aux alentours du lac Knob, pour qu’au moment de la mise en service il y ait une communauté minière établie, fournie en électricité par les lacs Menihek et produisant déjà du minerai de fer. Au cours de l’été 1954, au-delà de deux millions de tonnes de minerai furent transportées par train jusqu’à Sept-Îles et livrées aux marchés.
Le problème de localisation du site de Schefferville était principalement de trouver un endroit bien drainé, relativement proche des gisements et d’un bon site pour un aérodrome. Burnt Creek avait été choisi à l’origine; mais quand un forage au hasard révéla que directement sous le site se trouvaient plus de dix millions de tonnes de minerai à haute teneur en fer, le site changea pour l’actuel site sur le col séparant le lac Knob et les lacs Pearces composé de sable et de gravier fluvio-glaciaires. Le village de Schefferville est desservi par air à l’est et rails à l’ouest. Les mines Ruth, French, Gagnon et Gill sont à seulement quelque milles au nord-ouest.
Aujourd’hui au Lac Knob, les rues ordonnées de la ville moderne de Schefferville forment des arcs entre les rangées symétriques de maisons peintes aux couleurs vives. Les chantiers sont partout; des maisons, une école, une église, un cinéma, une banque sont la triomphante, voire arrogante, manifestation de la conquête de l’homme sur la nature. Il s’agit d’une civilisation transplantée, coulée avec audace au milieu des épinettes silencieuses. À partir de cette plate-forme de colonisation, la main de l’homme étendit son influence radicalement plus loin, repoussant les forêts de lichens à coups de pelles et de camions, d’hommes et de labeur. Dans les vastes, béantes, poussiéreuses fosses, d’énormes machines raclent sans relâche le minerai inerte, la nourriture de l’industrie de l’homme.
L’aspect de Schefferville ne suggère en rien qu’elle fut planifiée en tenant une attention particulière au climat. Elle ressemble à n’importe laquelle ville minière bien aménagée des latitudes plus basses, pourtant cela semble adéquat. Les maisons unifamiliales, duplex et quadruplex, bien qu’il s’agit possiblement d’une solution peu économique face aux exigences des habitations nordiques, ont l’avantage de donner aux habitants un sentiment d’intimité et éventuellement de propriété qui sont plus attirantes que n’importe lequel large système de blocs d’appartements centralisés. Le plan de la ville est caractérisé par la division des unités fonctionnelles ce qui contribue à la commodité et l’efficacité, ainsi qu’au confort et l’apparence. Ces éléments sont un noyau central, qui comprend une école et une église, avec des dispositions pour d’autres unités religieuses et éducatives; la surface habitable de maisons familiales sur un plan circulaire modifié entourant la partie centrale; la zone commerciale de magasins, des services publics, une banque, un cinéma, une station-service et un hôtel; et la zone périphérique contenant les bureaux, les entrepôts, les garages et les dortoirs des diverses firmes, et la gare et l’aéroport.
Le développement du lac Knob a attiré un certain nombre d’Amérindiens qui, comme il a été mentionné précédemment, étaient au fond mécontents de la vie de trappeur. En juin 1956, il y avait approximativement 130 Montagnais, autrefois de Sept-Îles, vivant au lac Knob; à la mi-août 1956, ce nombre avait grimpé à presque 300, après que le Département des Affaires indiennes ait exhorté les 170 Naskapis restant à quitter Fort Chimo, vers, de préférence, le lac Knob. Presque toutes les entreprises de l’endroit engagèrent des Amérindiens, malgré le fait qu’ils ont tendance à disparaître silencieusement dans les bois si des Caribous sont aperçus ou si la pêche est particulièrement bonne. En août, plus de 70 d’entre eux étaient employés, près d’un homme par famille. Ils vivent maintenant sur les rives du lac John, deux milles à l’est de Schefferville, dans un regroupement de cabanes en bois et de tentes. Ce transfert d’un nombre significatif de Montagnais et de Naskapis constitue l’un des effets secondaires majeurs du développement minier des fosses du Labrador. Ces gens vont profiter dans une plus grande mesure des opportunités et de la sécurité telles qu’ils n’ont jamais eu avant, à travers les avantages qu’apporte l’éducation, les soins médicaux et le travail. Ceci est particulièrement vrai pour les Naskapis qui étaient un peuple pauvre et primitif, ne connaissant pas l’éducation jusqu’à ce jour.
PHOTO 6 : Près de 300 Montagnais et Nascapis ont déménagé au lac Knob dans l’espoir d’obtenir un emploi. Ils vivent à environs de deux milles de Schefferville dans ce campement près du lac John.
PHOTO 7 (droite) : L’Église catholique de Schefferville, construite majoritairement par le travail bénévole de congrégation, fut complétée à temps pour la messe de Noël en 1955. Une église protestante plus petite est en construction.
PHOTO 8 (Dessous) : Une rue de Schefferville, dépourvue d’aménagement paysager. Les maisons, construites par la Compagnie Iron Ore du Canada, sont louées par les employés et qui pourront éventuellement les acheter.
La population à l’été 1956 atteignit un sommet de 2 830 personnes, près de la moitié étant des employés de la Compagnie Iron Ore du Canada, et un autre quart leur famille. Le troisième plus grand groupe était constitué des employés des entreprises œuvrant à la construction à l’intérieur de Schefferville et des environs, les équipages de l’aviation civile et le personnel de l’Aviation Royale Canadienne servant les installations de la Mid-Canada Defence Line qui traversent la péninsule entre le Labrador et la baie d’Hudson.
PHOTO 9 : Aux quais de la Compagnie Iron Ore du Canada à Sept-Îles, un navire-cargo se charge de minerai de fer, pendant que des remorqueurs se tiennent prêts à aider à son départ contre un vent de mer.
La population amérindienne constituait 10 pour cent du total. Cependant de nombreuses fluctuations de cette population devraient être mentionnées, afin de démontrer que le chiffre de 2830 était valide seulement pour la durée de l’enquête. Premièrement, il y a une variation saisonnière du personnel de la Compagnie Iron Ore du Canada; les basses températures hivernales empêchent le transport du minerai vers Sept-Îles, et la main-d’œuvre doit être réduite. Deuxièmement, il existe une incertitude quant à la pérennité de l’installation des Amérindiens, et sa taille. Troisièmement, il y a eu un retrait progressif des hommes travaillant sur la Mid-Canada Defence Line à mesure qu’elle s’achève. Il y a aussi un retrait des entreprises de construction puisque le projet d’habitation à Schefferville tire à sa fin.
Bien que les rues poussiéreuses, les trous béants et les charpentes nues des bâtiments inachevés ne soient guère favorables à une appréciation de ses qualités esthétiques à l’été 1956, il y avait des signes que Schefferville serait un jour une très belle ville. Même si les bâtiments principaux avaient toujours la priorité au programme de construction, c’était encourageant de voir l’installation de la signalisation, le coulage des trottoirs et de savoir que l’aménagement paysager contribuerait éventuellement à la beauté de la ville.
Inéluctablement, l’on essaie de visualiser le futur. Le lac Knob est un site minier, et des estimations récentes des gisements de minerai indiquent un potentiel de production annuel d’environ vingt millions de tonnes pour plusieurs générations. Cependant, quand l’on considère la possibilité d’exploiter les autres grands gisements des environs, et la probable extraction de minerai de qualité inférieure, il semble évident que la vie du lac Knob sera bien plus longue. De plus, il semble plausible que le site aura une importance stratégique pour l’aviation civile et militaire; sa localisation sur la Mid-Canada Defence Line en fait un endroit idéal pour un centre de défense aérienne du Nord-est canadien, et ses avantages climatiques indiquent déjà à certains la possibilité de compléter, voire en théorie de remplacer, Goose Bay comme escale des liaisons aériennes transatlantiques.
Cette initiative précurseure au lac Knob a outrepassé la rigueur du climat et de l’accessibilité pour ouvrir l’intérieur longtemps ignoré de la péninsule. Cela a encouragé d’autres industries à s’installer. La British Newfoundland Company construit une route vers Grands Falls [les Chutes Churchill], l’un des plus importants potentiels d’hydro-électricité au monde. Canadian Industries Limited érige une usine à Sept-Îles. Canadian Javelin travaille au lac Wabush pour extraire du minerai de fer de moins grande qualité. Les associés de Cyrus Eaton sont occupés sur la côte ouest de la baie d’Ungava, où une courte saison sans glace et quelques-unes des plus hautes marées seront seulement deux des problèmes pour l’extraction du minerai de fer. L’intérêt est vif pour la rivière Chukotat qui ceinture le nord de l’Ungava, car riche en nickel. Le long de la rive nord du Saint-Laurent l’attrait des ressources minières est complété par l’abondance de vastes forêts, l’accès aux couloirs de navigation océaniques, et l’avantage d’une électricité abondante et abordable. Ce sont les plus grands attraits pour les industries comme les pâtes et papiers, l’aluminium et les produits chimiques. La colonie d’aujourd’hui se range derrière les limites du progrès industriel, une méthode du vingtième siècle de coloniser de nouveaux territoires. Nous pouvons honnêtement dire que la « glace » du Labrador-Ungava a été brisée.
PHOTO 10 : La croissance rapide du port de Sept-Îles durant les six dernières années a grandement changé son aspect, mais le long du bord de mer on y trouve encore des traces du passé et de sa tradition maritime.
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