Le Labrador et la Côte-Nord
ARTICLE TIRÉ DU CANADIAN GEOGRAPHICAL JOURNAL, AVRIL 1938
Par : Léo Cox.
Traductrice : Jocelyne Beaulieu
Quand ce n’est pas spécifié, les illustrations sont courtoisie de la Compagnie Clarke Steamship.
Les régions arctiques et sous-arctiques attirent de plus en plus l’attention des scientifiques, écrivains, artistes ainsi que des voyageurs qui recherchent des endroits nouveaux et intacts. Le Nord est encore une région vierge pour les touristes que l’intérêt pour ces régions, jusqu’alors associées seulement avec les noms d’explorateurs, a récemment été éveillé par des livres tels que « N by O » de Rockwell Kent, les travaux du Dr. Grenfell sur le Labrador, les vols spectaculaires au-dessus des régions nordiques ainsi que les registres de bateaux voyageant dans l’Arctique tels que le « Nascopie ». Des récits de richesses cachées dans le sous-sol du Labrador, l’optimisme engendré par des livres tels que celui de Stefansson, « l’Arctique amical », et l’enthousiasme des quelques touristes qui s’y sont aventurés pour savourer les beautés austères des côtes, ont tous contribué à changer la perception des gens sur l’étendue polaire sauvage à une plus juste vision évoquée par l’appellation « Golden North ».
Le sentiment d’appartenance avec les explorateurs n’est pas le moindre des attraits d’une croisière sur cette lisière de l’Arctique. Sir Wilfred Grenfell, dont le nom sera toujours associé avec le Labrador, nous assure avec toute sa sagesse médicale que le climat en est un des plus sains et des plus vivifiants au monde. Aucun endroit ne donne de meilleurs dividendes en santé après une visite que son bien-aimé Labrador.
Mais, dans les plus anciens registres, l’histoire du Labrador le décrit comme un endroit sévère et inaccessible un pays de glace et de rochers, un royaume de mystère et de froid mélancolique – un geste solitaire des mains sinistres de l’Arctique vers un climat plus heureux. Lei Ericsson, un aventurier scandinave du 11e siècle, en parlait comme une terre bonne à rien. Quelques siècles plus tard, Jacques Cartier l’a appelé « la terre que Dieu donna à Caïn ». C’est aux poètes et artistes modernes tels que Rockwell Kent, et aux humanistes comme Grenfell qu’il a été donné de découvrir toute la beauté et le charme de cet endroit et de nous le révéler dans sa véritable splendeur.
Le sud du Labrador a en fait un climat estival splendide, des vallées fertiles, et un arrière-pays riche de forêts et de rivières. Il y a beaucoup d’indices qui nous laissent présager qu’il se montrera à son avantage bientôt. De riches dépôts de minerai, des exploitations récentes pour les pâtes et papiers, des inspections aériennes faites par Newfoundland Skyways dans les deux dernière année et la popularité des croisières estivales de la compagnie Clarke à partir de Montréal, tout ceci contribue à présager un avenir brillant pour ce coin de pays jusqu’ici inconnu, cette terre d’Eskimos, d’Inuits, de pêcheurs et de trappeurs.
De Cap Chidley dans le nord frigide aux côtes relativement chaudes de Belle-Isle, le Labrador est une terre aux attraits naturels dépassant ceux de la Norvège. La beauté de ses rochers, îles, ports de mer et fjords est intensifiée par les formations de glace et la faune. Les peuples Eskimos et Inuits offrent des études intéressantes en sociologie primitive différente. À l’intérieur des terres, particulièrement dans la vallée d’Hamilton, il y a une grande étendue de forêt intouchée par les hommes mais présentement à l’étude pour les possibilités d’usine de pâte et papier. La turbulente rivière Hamilton et ses affluents fournissent la possibilité d’explorer l’arrière-pays et la possibilité de voyager jusqu’à la baie d’Hudon. Cela peut prendre des années avant que le pays soit accessible aux touristes, même les plus téméraires, bien que maintenant Newfoundland Skyways opère un service aérien estival à partir de la rivière Northwest jusqu’à l’intérieur pour des équipes faisant des études de terrain. Si les touristes viennent, il y a beaucoup de choses pour les intéresser: la mission Grenfell près de la rivière Northwest, le pittoresque lac Melville, et plus loin sur la rivière Hamilton, les spectaculaires chutes Grand Falls qui ont plus de 300 pieds de hauteur.
L’histoire du Labrador se trouve dans les archives de ses explorateurs. Leif Ericsson partit du Groenland et parcourut les côtes au 11e siècle. Des marchands, des missionnaires jésuites, les pères Oblats, les coureurs des bois, les employées de la Compagnie de la Baie d’Hudson, ont voyagé au Labrador à différentes époques. Mais ce sont des explorateurs tel que John McLean (1840), le père Lacrosse (1875), R.F. Holmes (1887), Cary et Cole (1891), Bryant et Keniston, le Dr. Low (1896), qui découvrirent ce grand et riche territoire aux alentours de Grand Falls, 250 milles plus haut que les marées de la rivière Hamilton. Aujourd’hui l’avenir semble prometteur pour cet endroit peu fréquenté.
Il est impossible de penser au Labrador sans inclure Sir Wilfred Grenfell et le travail héroïque de sa mission auprès des pêcheurs et du nord de Terre-Neuve. Depuis qu’il s’y est arrêté il y a plus de quarante ans de cela, un jeune médecin idéaliste, sa vie et son travail ont été un exemple de dévouement inégalé dans les annales chrétiennes. Une visite à St. Anthony, le siège social de la mission dans le nord de Terre-Neuve, est un exemple pour les humanistes. Des secours humanitaires sont apportés sur le plan social, médical et éducatif, de manière intelligente et artistique, mais on sauve également l’âme des gens et on les destine à un avenir brillant.
La première mission fut établie à Battle Harbour sur l’île isolée de Battle, au nord-ouest de Belle-Isle, il y a plus de quarante ans de cela. L’hôpital qui a brûlé en 1930, fut reconstruit à Rivière St. Mary’s, près de la Rivière Nord-Ouest. Cette Mission ainsi que quatre autres desservaient 1500 milles de côtes. La majorité du travail humanitaire était fait par traîneau à chiens et par bateau. D’autres postes étaient situés entre autres à Forteau Bay, près de Point Armour, une vieille forteresse française établie en 1630, et à Harrington au Québec où la mission fut établie en 1907. À tous ces endroits, les visiteurs sont impressionnés par le courage des travailleurs de Grenfell, la modernité de leurs équipements, ainsi que l’excellence de l’artisanat conçu et produit sous la direction et l’inspiration de St. Anthony.
À Harrington plus spécialement, les églises et l’école occupent une place importante et sont le centre de la vie dans ces endroits éloignés. Parmi les autres villages, il y a Mutton Bay et Blanc- Sablon, un village de pêcheur datant du temps de Jacques Cartier et le point le plus près de la frontière du Labrador.
Bradore Bay situé sur le détroit, est supposé être le site de la semi-mythique ville de Brest, fondée bien avant Québec et où il y avait « 200 maisons et 1 000 habitants en hiver et trois fois ce nombre en été ».
Près de cette côte, les bateaux de croisière passent devant l’île de Greenley mentionnée pour la première fois par Jacques Cartier en 1534, où il y a une réserve d’oiseaux et un phare qui sont devenus célèbre en 1928 comme piste d’atterrissage du « Bremen » premier avion à traverser l’Atlantique d’est en ouest. La Compagnie Clarke Steamship ont fait ériger sur le site exact de l’atterrissage une plaque commémorative en hommage aux trois aviateurs qui ont fait cette envolée historique.
En se déplaçant vers l’ouest, la côte laisse place à de grandes étendues de sable argenté avec derrière des collines boisées et marquées de rivières prenant naissance dans les montagnes du Labrador. De part et d’autres il y a des villages de pêcheurs, des postes de traite et des villages autochtones fondés au 17 et 18e siècles.
Natashkwuan, nommé par Jacques Cartier en 1534 du nom d’un chef Indien, est la dernière municipalité sur la côte et est un important poste de traite où les Indiens doivent vivre de la même façon qu’il y a 400 ans.
Havre St-Pierre a déjà été appelé « Pointe aux Esquimos » parce que c’était le point le plus à l’ouest où les Esquimos s’étaient rendus. Ils n’y habitent plus maintenant. Cette ville prospère possède une modeste cathédrale et un excellent couvent. C’était également l’endroit où l’on transférait le courrier qui arrivait de Montréal pour ensuite le faire suivre à Belle-Isle.
À Mingan, qui fait partie d’une vieille seigneurie, il y a un édifice construit par Donald Smith, qui en ce temps-là était un facteur de la Compagnie de la Baie d’Hudson et est par la suite devenu Lord Strathcona. Une rumeur veut que Louis Joliet, un des découvreurs du Mississippi, soit enterré sur une île proche. Un peu plus à l’ouest, il y a Rivière-au-Tonnerre et Sept-Îles. Cette dernière fut visitée par Jacques Cartier en 1535 et, ainsi que la plupart des autres ports de la Côte-Nord ont changé de main pour passer des Français aux Anglais à tour de rôle. Actuellement, Sept-Îles est une ville de premier plan dans le commerce du bois et de la pêche au saumon et à la morue. Tout près il y a la rivière Moisie, une des meilleures rivières à saumon en Amérique du Nord, et l’endroit par excellence des camps de pêche privés les plus exclusifs. La réserve indienne de Sept-Îles attire beaucoup de visiteurs. Neuf milles à l’intérieur des terres, reliée par le chemin de fer le plus à l’est au Canada, se trouve Clarke City, une ville de pâtes et papier construite et développée par la famille Clarke, dont les bateaux desservent tous les ports de la Côte-Nord depuis la ville de Québec. Ces navires sont le seul lien que la plupart des villages ont avec le reste de la province.
Entre ici et Tadoussac, se trouvent les ports de pâtes et papier de Shelter Bay, Godbout, Franklin, Portneuf et Les Escoumins (il y a également un traversier qui relie la rive sud).
Près de Godbout, il y a la ville de Baie-Comeau, nouvellement construite en 1937 grâce à l’ingénierie moderne. La compagnie Ontario Paper opère une usine de papier journal qui, au mois de juin cette année, produira 300 tonnes de papier journal par jour.
Ici, les étendues sauvages ont subi des changements dramatiques. La forêt a fait place à une ville moderne complète avec conduites d’eau, conduites d’égouts, des maisons confortables, des magasins, une église, un théâtre et des divertissements, des édifices à bureaux et tout ce qui est nécessaire pour le fonctionnement d’un moulin à papier. L’électricité provient de Chutes aux Outardes situées à environ 16 milles de Baie-Comeau. Les communications par bateau sont principalement avec Rimouski, ville située sur la rive sud du St-Laurent, et se font par l’entremise du Jean-Brillant, bateau qui peut accommoder également des passagers.
On peut se rendre à Portneuf par une excellente route à partir de Tadoussac. Celle-ci fut tracée le long de la côte pittoresque, à travers la forêt, les marais et la tourbe.
Cette route est un attrait supplémentaire pour les visiteurs qui viennent à Tadoussac dont l’histoire romantique, l’emplacement exceptionnel et la pêche en eau douce sans précédent dans les lacs environnants sont bien connus.
Un traversier relie Tadoussac à Baie Ste-Catherine située de l’autre côté de la rivière Saguenay, et donne un accès à tout le Québec aux motoristes. Les superbes Laurentides, le parc des Laurentides et la région du lac St-Jean sont maintenant desservis par des routes et partiellement par la voie ferrée.
Mais la plupart des touristes préfèreront, avec ou sans automobiles, faire le voyage par bateau, que ce soit pour la première ou la centième fois, et avoir le plaisir de faire le voyage sur ce qui est probablement un des plus beaux fjords au monde. Il n’y a pas de mots pour décrire la splendeur de ce canyon profond qui traverse les Laurentides, les escarpements qui s’élèvent à plus de 2 000 pieds au-dessus du bateau et qui culminent dans la splendeur des caps Trinité et Éternité – on doit le voir de nos propres yeux pour croire qu’une telle beauté existe.
Photo d’un iceberg : Les icebergs sont un attrait estival au début de l’été au large de Battle Harbour, au Labrador.
Gauche, en haut – Le port à St. Anthony, Terre-Neuve, quartiers généraux de la mission Grenfell, est toujours animé durant l’été. Nous voyons ici un bateau de la mission en cale sèche subissant des réparations et un cargo de la Compagnie Clarke.
En bas – Cette étude d’un pêcheur âgé de 81 ans à Harrington Harbour, Québec Labrador, nous révèle le caractère robuste des pêcheurs du Labrador qui disputent une vie difficile à la mer arctique et aux rochers.
Autres textes anglais 2011 | 2012 | 2013 | 2014 | 2015 | 2016 | 2017